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Les jours qui viennent (extrait)

1

 

Fin de journée. Dan est allongé sur le sol, un blouson roulé en boule sous la tête et une paire de bottines bien alignée à ses côtés. Il écoute une chanson de Lou Reed, Vicious, dont il reprend en chœur certaines paroles. Tom entre un livre à la main. Très concentré, il ne prête aucune attention à Dan. De temps en temps, il souligne une phrase ou un paragraphe de son livre. Vers la fin de la musique, Dan enfile ses bottines, se relève, ramasse son blouson et regarde Tom.  

 

Dan. Je crois que je vais me jeter dans le vide.

 

Tom (levant le nez de son bouquin). Pardon ?

 

Dan. Je vais monter sur le toit… et me jeter dans le vide…

 

Tom. Qu’est-ce que tu racontes ? Ça ne va pas ?

 

Dan. Si, ça va.

 

Tom. En général, on ne se jette pas dans le vide quand on va bien.

 

Dan. Je ne vais pas me jeter par désespoir…

 

Tom. Peut-être… mais tu vas quand même t’écraser…

 

Dan. Non.

 

Tom. Si en se jetant dans le vide, on s’écrase. C’est pour tout le monde pareil - désespéré ou pas. On appelle ça l’attraction terrestre.

 

Dan. Je vais m’envoler !

 

Tom. T’envoler ? Tu te prends pour un oiseau ?

 

Dan. Non, pour un ange.

 

Tom. Un ange ?

 

Dan. Un type sur un toit qui regarde la ville : c’est un ange.

 

Tom. Je ne savais pas.

 

Dan. Il suffit de monter sur un toit, d’ouvrir les bras et d’attendre.

 

Tom. L’arrivée des pompiers ?

 

Dan. La métamorphose.

 

Tom. Quelle métamorphose ?

 

Dan. Des ailes te poussent dans le dos quand tu regardes le monde avec une certaine compassion.

 

Tom. Dans les films allemands, mais pas dans la vraie vie.

 

Dan. C’est un ange qui m’a tout raconté.

 

Tom. Ah bon ?

 

Dan. Tu ne me crois pas ?

 

Tom. Non.

 

Dan. Tu penses que nous pendons dans l’atmosphère comme un fruit en attendant de pourrir ?

 

Tom. Oui, c’est ce que je ressens parfois… une lente maturation vers la pourriture.

 

Dan. Tu ne crois en rien.

 

Tom. Je crois qu’il n’y a pas d’anges sur les toits et que tu vas t’écraser.

 

Dan. Et pourquoi n’y aurait-il pas d’anges sur les toits ?

 

Tom. Parce que nous sommes sur terre ?

 

Dan. Tu es trop rationnel, ça t’empêche de voir vraiment les choses.

 

Tom. Non, au contraire…

 

Dan. Tu crois que je n’ai pas les qualités nécessaires pour être un ange ?

 

Tom. Quelles sont ces qualités ?

 

Dan. S’efforcer de comprendre les autres, avoir un regard bienveillant, tendre la main…

 

Tom. On dirait une pub pour une banque.

 

Dan. C’est idiot ce que tu dis.

 

Tom. Ce qui est idiot, c’est de se jeter dans le vide.

 

Dan. Je pars à la conquête du monde.

 

Tom. Tu te prends pour Batman ?

 

Dan. Tu te prends bien pour Einstein, toi.

 

Tom. Ce n’est pas vrai.

 

Dan. Tu n’es pas un matheux acnéique peut-être ?

 

Tom. J’étais !

 

Dan. Tu as en permanence un livre sous les yeux…

 

Tom. Je te signale quand même que je n’ai plus un seul bouton depuis la guerre des Malouines…

 

Dan. A 16 ans, tu ressemblais à un pain aux raisins.

 

Tom. Ne commence pas, s’il te plaît !

 

Dan. Einstein ! Au lycée tout le monde t’appelait Einstein. Il faut dire aussi que tu portais un tee-shirt à son effigie alors que la plupart des mecs arboraient fièrement la langue des Stones, mais non, toi, c’était Einstein !

 

Tom. Il tirait aussi la langue, et c’est ce qui compte dans le fond. Peu importe à qui appartient la langue.

 

Dan. Et tu frimais sans arrêt avec tes bonnes notes.

 

Tom. Ce n’est pas vrai.

 

Dan. Tu as toujours frimé avec ton intelligence.

 

Tom. J’avais 15 ans !

 

Dan (après un temps). Tu sais ce qui ne tourne pas rond chez toi, Einstein ?

 

Tom. Non, mais tu vas sans doute me le dire… Batman…

 

Dan. Non, je dois y aller…

 

Tom. Prend un pull, il risque de faire froid là-haut.

Dan. Les anges ne ressentent pas le froid. 

...

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