top of page

Perdue dans le règne animal (extrait)

1.

 

Chez Jean. Il n’y a qu’une chaise. Mireille est assise sur cette chaise. Un temps. Jean parle d’une autre pièce.

 

Jean (off) : S’il me venait l’envie d’avoir une jungle...

 

Mireille : Comment une jungle ?

 

Jean (off) : Une jungle et un tigre !

 

Mireille : Un tigre ?

 

Jean (off) : Oui, un tigre !

 

Mireille : Mais, c’est dangereux.

 

Jean (off) : Plus maintenant.

 

Mireille : Comment plus maintenant ?

 

Jean (off) : Aujourd’hui, les tigres ne sont plus dangereux.

 

Mireille : Mais...

 

Jean (off) : Je plaisante. Je n’aime pas les chats. Qu’est-ce que j’irais faire d’un tigre ?

 

Mireille : Oui, bien sûr.

 

Jean (off) : Mais, vous avez raison… j’ai de la place… au cas où…

 

Mireille : Au cas où quoi ?

 

Jean (off) : Au cas où j’en aurais besoin.

 

Mireille : Oui, bien sûr…

 

Jean (tout en entrant) : Mais, je vous en prie, asseyez-vous.

 

Mireille : Pardon ? Que dites-vous ?

 

Jean : Asseyez-vous.

 

Mireille : Je suis assise.

 

Jean : Oh ! Excusez-moi !

 

Mireille : Est-ce que je ne donne pas l’air d’être assise ?

 

Jean : Mais si, pardon, bien sûr, vous êtes assise. Quel idiot ! Je suis distrait… (brutalement) Attention !

 

Mireille : Que se passe t-il ?

 

Jean (brutalement) : Levez-vous !

 

Mireille (se levant d’un bond: Mais que se passe t-il ? Est-ce le feu ?

 

Jean : Le feu ? Quel feu ?

 

Mireille : Est-ce qu’il y a le feu ?

 

Jean : Mais non… il n’y a pas le feu ! Pardon… excusez-moi… je suis désolé. Rassurez-vous. J’ai seulement cru, un instant, que la chaise se brisait et que vous tombiez à la renverse.

 

Mireille : Comment à la renverse ?

 

Jean : Votre tête tapait le sol et…

 

Mireille : Pardon ?

 

Jean : Excusez-moi. Je suis sincèrement désolé. Je ne sais pas ce qui m’arrive. Je ne sais plus ce que je dis. Quel idiot ! Laissez-moi vous offrir un verre…

 

Mireille : C’est inutile, je vais rentrer...

 

Jean : Déjà ?

 

Mireille : Il se fait tard, je dois rentrer.

 

Jean : Vous venez d’arriver.

 

Mireille : Oui, mais… je…

 

Jean : Je vous en prie… s’il vous plaît… pour me faire pardonner…

 

Mireille (après un temps de réflexion) : Alors un verre… et puis… je rentre…

 

Jean : Voilà, un verre… et… vous rentrez…

 

Mireille (se rasseyant: Oui, oui, après je rentre.

 

Jean : Il y a cette liqueur…
 

Mireille : Ce sera parfait.

 

Jean : Il faut que j’aille dans la cuisine. Je ne serai pas absent longtemps.

 

Mireille : Longtemps ?

 

Jean : Non, j’irai plus vite qu’une de ces bourrasques qui vous décoche un uppercut en pleine face et qui vous laisse comme deux ronds de flan, si vous voyez ce que je veux dire ?

 

Mireille : Non, pas très bien.

 

Jean : Je reviens. (Jean se dirige vers la cuisine, mais soudainement, il revient vers Mireille) Tout va bien ?

 

Mireille : Oui…

 

Jean : Vous n’avez pas chaud ?

 

Mireille : Non, ça va.

 

Jean : Vous n’avez pas froid ?

 

Mireille : Je suis à bonne température.

 

Jean : Vous pouvez bouger la chaise si le cœur vous en dit.

 

Mireille : S’il le faut, je le ferai.

 

Jean : Bon… j’y vais...

 

Mireille : Vous n’allez que dans votre cuisine. Ce n’est quand même pas le bout du monde, cette cuisine.

 

Jean : Le bout du monde ? Ça donne à rêver… le bout du monde ! Mais non, ne vous inquiétez pas. Je reviens. (Jean se dirige vers la cuisine, mais soudainement, il revient vers Mireille) Votre manteau ?

 

Mireille : Mon manteau ?

 

Jean : Voulez-vous me confier votre manteau ?

 

Mireille : Je n’en ai pas.

 

Jean : Vous n’en avez pas ?

 

Mireille : Non, puisque je suis en face.

 

Jean : Ah oui ! Alors vous n’avez pas pris de manteau, juste une robe.

 

Mireille : Oui, quand même.

 

Jean : Vous n’alliez pas venir nue.

 

Mireille : Nue ? Comment nue ?

 

Jean : Non, je veux dire pour traverser le couloir, une robe suffit amplement. D’ailleurs, elle est très…  souple cette robe.

 

Mireille : Souple ?

 

Jean : Voulez-vous me confier votre robe ?

 

Mireille : Pardon ? Mais non, voyons, je compte garder ma robe.

 

Jean : Vous comptez garder votre robe et vous avez raison.

 

Mireille : Comment j’ai raison ?

 

Jean : C’est normal. C’est naturel. Je dirais même que c’est votre droit…

 

Mireille : Que dites-vous ?

 

Jean : Et que vous avez raison d’insister.

 

Mireille : Mais je n’insiste pas !

 

Jean : Non, bien sûr, qu’est-ce que je raconte ?

 

Mireille : Mais oui, que racontez-vous à la fin ? Je n’ai pas l’intention d’ôter ma robe. Pour qui me prenez-vous ?

 

Jean : Excusez-moi... (il respire profondément) mais… de vous voir assise sur cette chaise… là où, d’ordinaire, le soleil termine sa course… quand j’ouvre la fenêtre pour observer la rue et son flot incessant… tout cela me rend… nerveux. (il se racle la gorge) Un verre, n’est-ce pas ? C’est bien ce que vous désirez ?

 

Mireille : Oui... enfin…

 

Jean : Alors… je… m’absente… un instant…

 

(Jean ne bouge pas. Un temps.)

 

Mireille : Que faites-vous ?

 

Jean : J’irai plus vite qu’un vent rugissant qui décoiffe les arbres, si vous voyez ce que je veux dire ?

 

Mireille : Non, pas très bien.

 

Jean : C’est ma tante, voyez-vous, une personne des plus compétentes en matière de… (Mireille se lève) Où aller-vous ?

 

Mireille : Chercher à boire.

 

Jean : Mais…

 

Mireille : Je ne veux pas trop m’attarder et je pense que j’aurais plus vite fait d’y aller moi-même dans cette cuisine…

 

Jean : C’est ma tante qui…

 

Mireille (avec une certaine nervosité: Mais… qu’ai-je à faire de votre tante à la fin ?

 

Jean : Asseyez-vous… je vous en prie… asseyez-vous ! Ce n’est pas à vous à aller chercher cette liqueur. C’est ma tante… Ah ! Zut ! Ce n’est rien. Excusez-moi. Je reviens, je reviens, je reviens.

 

(Jean ne bouge toujours pas. Mireille se rassoit. Un temps.)

...

bottom of page